F. Manns. La Samaritana

Le symbole de l'eau vive en ln 4 fournit la clé d'interprétation de tout le chapitre. Un désaccord subsiste toujours sur sa signification: pour les uns l'eau vive est la révélation du Christ, tandis que d'autres y voient le symbole de l'Esprit saint. Une herméneutique du symbole devrait dé­passer cette antinomie qui divise les exégètes en deux camps. C'est ce problème méthodologique que nous voudrions examiner après avoir étudié la structure littéraire et considéré quelques problèmes d'analyse littéraire de Jn 4.

Il n'est pas inutile de rappeler que, contrairement au signe qui prétend à une adaptation parfaite du signifiant au signifié, le symbole se caractérise par l'inadéquation radicale des deux pôles de signification. Le symbole n'est pas non plus une image. Il réunit dans une expression synthétique ce qui se trouve de plus intime dans un être, l'inconscient et le personnel, le social et le cosmique, le religieux et le divin. Il crée un lien entre les profondeurs humaines et les hauteurs divines, entre les créatures visibles et le ciel invisible. "J'appelle symbole, écrit Ricoeur!, toute structure de signification où un sens direct, primaire, littéral, désigne par surcroît un autre sens indirect, secondaire, figuré, qui ne peut être appréhendé qu'à travers le premier".

La méthode de l'herméneutique du symbole est avant tout une méthode de convergence. C'est par un jeu de redondances icono­graphiques que se corrige et se complète l'inadéquation de chaque symbole. L'ensemble des symboles sur un thème éclaire les symboles les uns par rapport aux autres et leur ajoute une puissance supplémentaire. En d'autres termes, il ne suffira pas d'étudier le symbole de l'eau vive indépendamment de son contexte. Il faudra l'affronter aux autres symboles contenus dans le chapitre 4, en particulier à celui de la nourriture, puis à celui du Temple. De plus, ce symbole trouve sa portée et sa signification à l'intérieur de l'Evangile. En effet, il apparaît dans d'autres passages que le chapitre 4 qui sont susceptibles d'éclairer le symbole.

Le vocabulaire et les thèmes de cette unité présentent plusieurs contacts avec ceux de la Passion: le verbe kathizô (s'asseoir) se retrouve en 4, 6 et 19, 13. La soif de Jésus est mentionnée en 4, 7 et en 19, 28. Le thème de l'achèvement (teleioô) de l'oeuvre de Dieu est signalé en 4, 34 et 19, 30. La sixième heure constitue le cadre temporel en 4, 6 et en 19, 14. De même le thème de l'heure eschatologique évoquée en 4, 21 et 23 renvoie à 17, 1. Le thème de l'Esprit présent en 4, 23-24 est repris en 19, 30. Peut-être la dramatisation du motif de quitter Jérusalem en Jn 4, l’ annonce-t-elle déjà le thème de la Passion. Si la référence à la condamnation des Pharisiens est sous-jacente au texte, il faut donner au verbe dei (il faut) du verset 4 un sens fort. C'est la volonté du Père de sauver le monde. Enfin, le thème de l'eau qui est fondamental au chapitre 4 réapparaît en 19, 34.

Autre caractéristique de l'unité: sept titres christologiques sont énumérés au chapitre 4: Seigneur (Kyrios: 11.15), Prophète (19), Messie appelé Christ (25.29), Homme (29), Rabbi (31), Le Sauveur du monde (42). C'est dire que la scène est centrée sur la révélation de Jésus aux Samaritains TI exige d'eux la foi (39-42), comme il l'avait exigée des Juifs. Le point de vue de -l'auteur est d'abord christologique. L'Evangile veut répondre à la question: "Qui est Jésus?".

L'interprétation du symbole de l'eau

Les exégètes ont reconnu deux principales valences au symbole de l'eau en Jn 4. Certains ont exigé qu'on fasse une distinction entre l'eau et l'eau vive. D'autres ont noté que Jean appelle le puits pêgê, terme qui signifie source (v. 6), et phrear (v. 11). Or ces deux termes sont parallèles dans la Lxx et dans le judaïsme hellénisti. L'eau est tout d'abord symbole de la révélation, de la connaissance et de la sagesse. Les textes de Pr 13, 14; 16,22; 18,4; Bar 3, 12; Sir 15, 1; 24, 21; Sag 7, 25; Is 55, 1; 1 Hen 48, 1; 49; 96,6; CD 19,34; 3, 16; 6,4; Abot 6, 1; Sifre Dl II 22; Tg Is 12, 3 et 55, 1 sont généralement cités à l'appui de cette interprétationl3. L'expression "eau vive" est elle aussi connue dans l'Ancien Testamentl4. Elle signifie au sens matériel une eau courante. Chez les prophètes elle devient le symbole des biens messianiques. Dans la littérature sapientiale elle désigne les flots de sagesse ou l'enseignement qu'on tire de la loils. A Qumran le puits d'eau vive de CD 19, 34 symbolise la loi interprétée à la lumière de la nouvelle alliance conclue par ceux qui ont émigré à Damas. L'aspect eschatologique du puits est ainsi mis en valeurl6. La tradition patristique n'ignore pas cette interprétation du symbole de l'eau. Le représentant le plus ancien de cette ligne d'interprétation est Origène. Dans son Commentaire de l'Evangile il écrit:

"L'introduction, ce sont les Ecritures et c'est de leur compréhension exacte, appelée ici "source de Jacob" qu'il faut remonter jusqu'à Jésus, afin qu'il nous accorde la source d'eau qui rebondit jusque dans la vie du siècle à venir ... Ceux qui sont sages selon les Ecritures boivent comme Jacob et ses fils, ceux qui sont relativement simples et naïfs et qu'on appelle "brebis du Christ" boivent comme les bêtes de Jacob; quant à ceux qui interprètent les Ecritures de travers et qui, sous prétexte de les comprendre, inventent des blasphèmes, ils boivent comme buvait la Samaritaine avant d'avoir la foi en Jésus ... La source formée et révélée par le Verbe même est la Sagesse mêmel".

Parmi les modernes qui proposent cette exégèse il faut mentionner Bultmannl8, Olssonl9, Braun20 et PanimolIe2l. Etant donné que pour les Juifs le don de Dieu par excellence, c'est la loi22, Jean n'hésitera pas à présenter le Fils de Dieu comme le nouveau don de Dieu23. Un des arguments qui revient fréquemment pour baser cette interprétation est le fait qu'en 4, 10 l'eau vive désigne une réalité présente2A.

D'autres, par contre, exploitant les textes d 'Is 32, 15; 44,3; JI 2, 28; Ez 36, 25-27, rappellent que le symbole de l'eau signifie l'Esprit dans l'Ancien Testament déjà2S. Au verset 10 Jean a recours au terme dôrea (don) qui désigne l'Esprit dans la communauté primitive26. Le verbe donne! dans l'Evangile de Jean a pour objer l'Esprit en 3, 3427 et le Paraclet dans un discours d'adieu de Jésus28. De plus, le verbe hallomai que Jean utilise pour désigner le jaillissement de cette eau signifie sauter et bondir. Ce verbe est réservé dans l'Ancien Testament aux venues de l'Esprit de Dieu29. C'est de cette façon que de nombreux Pères de l'Eglise l'ont expliqué. Maldonat cite dans son commentaire de Jean30, les témoignages d' Augustin3l, de Rupert, de Béda et de Strabus. D'autres Pères voient dans l'eau le symbole de la grâce de l'Esprit. Maldonat cite Cyrille d'Alexandrie, Irénée, Chrysostome, Théodoret, Basile, Théophylacte et Euthyme32. Parmi les modernes il faut mentionner Loisy33 qui n'hésite pas à écrire; "Si l'on tient compte de tout ce qui précède et de la signification symbolique de l'eau dans les écrits johanniques, l'eau vive signifie l'Esprit saint avec une allusion directe au baptême. C'est toujours la nouvelle naissance par l'eau et l'Esprit, dont le Sauveur a entretenu Nicodème. On est d'autant moins fondé à mettre à la place du don de l'Esprit la parole de Dieu que l'évangéliste prend soin de dire ailleurs que l'eau vive est l'Esprit saint reçu par les croyants". Schnackenburg ajoute un nouvel argument en faveur de cette interprétation: la structure chiastique du texte permet d'identifier l'eau vive avec le don de Dieu qu'est l'Esprit34 ;

"Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te parle

TI t'aurait donné de l'eau vive" (v.lO).

Le don de Dieu n'est autre que l'eau vive que Jésus donne. Il ne faut donc pas donner une valeur epéxégétique au kai qui se trouve au centre de la structure.

Mussner3S admet l'interprétation de l'eau comme symbole de l'Es­prit. C'est Jésus qui possède l'Esprit parce qu'il a été baptisé dans l'Esprit36 et c'est lui qui donne l'EspriP7.

Parmi les réprésentants de l'exégèse américaine à partager ce point de vue, signalons R. E. Brown. A ces auteurs il faut ajouter les espagnols Sabugal et Mateos-Barreto.

Le problème qui se pose est d'ordre méthodologique ; lorsque nous sommes en présence d'un symbole devons-nous choisir une seule valence comme étant la seule valable ou bien la richesse du symbole nous permet-elle d'exploiter simultanément les nombreuses valences du même symbole? Un sémite rôdé aux interprétations rabbiniques qui exploitent toutes les significations possibles des mots ne pourrait-il pas avoir conscience de deux lectures à la fois42? En fait, nous assistons en Jn 4 à un approfondissement remarquable du symbole de l'eau. Au début l'eau symbolise à la fois la révélation et le don de l'Esprit. Mais cette vérité ne peut rester extérieure à l'homme: elle doit être assimilée par le croyant pour qu'elle puisse devenir en lui une source jaillissante.

TI faut répondre cependant à une objection. J. Daniélou43 a prétendu que Jean est le premier auteur qui a associé le rite du baptême dans l'eau vive et le symbolisme de l'eau vive comme désignant l'Esprit saint. Nous avons démontré que la liturgie juive de Sukkot connaissait bien avant l'Evangile de Jean cette valence du symbole de l'eau44. Bien plus, l'Ancien Testament avait déjà mis en relation l'Esprit et l'eau dans de nombreux textes45.

A. Jaubert46 a consacré une étude importante au symbole de l'eau vive. Elle passe en revue progressivement le mythe du puits-rocher dans la tradition juive, la tradition du grand abîme lié à la source du Temple, enfin elle étudie la métaphore "la pluie de la Parole". G. Reim47 a détecté de son côté des traditions midrashiques sous-jacentes au chapitre 4 de Jean. TI voit en Jn 4, 32 une allusion à Gen 2, 2, en Jn 4, 5 une relecture de Gen 48, 22 et en Jn 4,34 un renvoi à Dt 8, 3. L'ensemble de l'unité 4, 1­40 pourrait être un midrash sur Gen 24 ou Ex 2, 15-21. Enfin, B. Olsson48 a étudié les traditions targumiques et midrashiques du puits de Miryam qui sont susceptibles d'éclairer le "milieu" de Jn 4. Ainsi des auteurs toujours plus nombreux acceptent une lecture midrashique de l'Evangile de Jean.

Puisqu'un symbole s'éclaire au contact d'autres symboles présents dans le même contexte, il n'est pas inutile d'évoquer les traditions juives qui décrivent la rencontre auprès d'un puits entre un voyageur fatigué et une femme qui vient puiser de l'eau dans la Bible, puis les traditions du Temple en dessous duquel jaillit une source. Enfin, puisque trois scènes johanniques ont recours à la symbolique de l'eau vive: le puits de Jacob, la proclamation de Jésus au Temple de Jérusalem que des fleuves d'eau vive jailliront du Christ49 et la scène de l'eau qui sort du côté ouvert de Jésus en croixso, il nous faudra les confronter rapidement.

Le puits de Jacob

Le puits auprès duquel Jésus s'assit lors de son passage en Samarie est identifié par l'évangéliste comme étant le puits que Jacob donna à Joseph. Ce puits avait été l'objet de nombreuses relectures dans la liturgie synagogale. Par un procédé familier au midrash il avait été associé aux différents puits de la tradition biblique de manière à former un cycle du puits. De nombreuses aggadot se sont greffées sur ce puits pour en souligner l'importance. Le puits aurait fourni à Jacob lors de son arrivée à Haran des eaux surabondantes qui montaient ét jaillissaient devant le Patriarche. Il aurait débordé durant les vingt années que Jacob passa à Haran. Le Targum de Gen 28, 1 relate les cinq signes dont le puits fut l'objet. Le puits se dessécha lorsque Jacob s'enfuitSl• Curieusement le même prodige se répète devant Moïse au pays de Madian et devant Israël au désertS2• La scène la plus célèbre est celle du puits de Beer relatée en Nb 21, 16-18. Le peuple assemblé par Moïse chanta le chant du puits exhortant le puits à faire monter son eau pour les Israélites. Ce puits sera défini comme un dons3Il recevra le nom de puits de Miryam, puisqu'il était dû à ses mérites et avait disparu à sa mortS4• Dieu l'avait rendu cependant à Israël à cause des mérites de Moïse et d' Aaronss• Il est possible de dater ces traditions aggadiques grâce aux textes du Liber Antiquitatum Biblicarum du Pseudo-Philons6, de l'Ecrit de Damass7 et de Philon d' Alexandries8

La question qui intéresse Jean n'est pas d'abord celle de l'eau vive, c'est d'abord celle de l'identité de Jésus: Es-tu plus grand que notre père Jacob?59 Cette question revient plusieurs fois dans l'Evangile sous des fonnes variées60. Jean veut montrer que Jésus supplante Jacob61. Or Jacob était un sage62 et un parfait63• C'est près d'un puits que Jacob rencontra Rachel64. La scène eut lieu après le songe où Jacob vit une échelle plantée en terre qui atteignait le ciel65 : "En vérité, s'exc1ame-t-il après sa vision, Yahve est en ce lieu et je ne le savais pas"66. La version synagogale du Targum mettra cette vision en rapport avec le sanctuaire de Jérusalem qui est orienté en face de la porte des cieux:

"Ce n'est pas un lieu profane, mais un sanctuaire pour le nom de Yahve, et c'est un lieu propre à la prière, orienté juste en face de la porte des cieux, établi sous le trône de la gloire"67. Le livre des Jubilés 32, 21-24 associe à ce contexte le don fait à Jacob par un ange de sept tables célestes qui contiennent toute l'histoire du monde. C'est également là qu'eut lieu le changement du nom de Jacob en Israël68.

Généralement les eaux du puits figuraient la loi dans le judaïsme ainsi que l'effusion de la sagesse69. La loi avait été donnée pour vivre.

1

D'après la tradition elle fut observée déjà par les Patriarches70. Le

Targum, en parlant des Patriarches qui avaient marché devant Dieu, exprimait leur fidélité en disant qu'ils avaient rendu un culte en vérité71. Le puits de Jacob symbolisait ainsi la tradition juive avec toutes ses richesses de connaissance.

Dans d'autres textes rabbiniques le symbole de l'eau vive était appliqué à l'effusion de l'EspriF2. Comme l'eau purifie, l'Esprit purifie le peuple selon la prophétie d'Ez 36, 25. Les textes de Qumran73 connaissaient cette interprétation. L'Evangile de Jean dévoile plus loin quelle est cette eau: c'est l'Esprit que Jésus donnera quand il sera glorifié74. Dans les Actes des Apôtres cet Esprit sera appelé "don de Dieu"7s. Le midrash Qoh R 1,9,1 déclarait que le dernier rédempteur ferait jaillir l'eau comme le premier rédempteur, Moïse, avait fait jaillir le puits. Le Messie devait donc donner l'eau vive.

La femme près du puits

Le dialogue de Jésus avec la femme s'insère dans la longue lignée des scènes bibliques où l'on voit les Patriarches donner à leur future épouse l'eau qui jaillissait du puits. n faudrait évoquer ici la rencontre de Jacob et de Rachel, ainsi que celle de Moïse et Séphora. Le symbolisme nuptial s'impose d'autant plus que la suite du dialogue l'explicite: "Va, appelle ton mari, dit Jésus à la femme. Je n'ai pas de mari, reprit-elle. Tu as eu cinq maris". Les exégètes ont vu dans cette femme la figure de la Samarie syncrétiste qui avait accepté cinq divinités étrangères76• On sait que le symbolisme nuptial avait été appliqué à la théologie de l'alliance. Cette dernière était présentée sous l'image de noces de Dieu avec son peuple. Ezéchiel avait eu recours à cette métaphore pour présenter l'alliance qui devait permettre une réunification de Juda et d'Ephraim". Jean, dans l'épisode des noces de Cana, avait exploité le même symbolisme nuptial et Jn 3, 29 avait défini Jésus comme l'époux. Dans l'épisode de la Samaritaine c'est l'alliance avec Dieu qui est reprise : la Samarie et la Judée, puisque le salut vient des Juifs, retrouvent leur unité dans une foi commune au Sauveur du monde78• Jésus leur propose l'eau vive qui les purifiera et qui symbolise l'Esprit qu'ils recevront. La femme abandonne sa cru che 79 et va appeler les habitants de la ville. Les Samaritains qui se mettent en marche vers Jésus sont ceux qui blanchissent pour la moissonso.

La source du Temple

C'est dans le contexte du dialogue avec la Samaritaine auprès du puits de Jacob que Jean situe la révélation de Jésus concernant les lieux sacrés et le culte nouveau: "Ce n'est ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père".

Pour comprendre l'association entre l'eau vive et le lieu du culte, il faut se rappeler plusieurs traditions juives concernant le Temple de Jérusalem. Une ancienne croyance situe l'autel de Noé à l'emplacement du Temple. En effet, après le déluge, Noé construisit un autel pour offrir des sacrifices à Dieu. Dieu fit un pacte avec Noé: il bouchait les eaux de l'abîme qui avaient menacé de détruire le monde en y plaçant une grosse pierre que la tradition désignera sous le nom de eben shetyah, la pierre de fondation. C'est cette pierre qui se trouvait dans le Saint des Saints et l'arche d'alliance y était posée. Les eaux versées en libation Sur l'autel pendant la fête des Tentes rejoignaient par un canal spécial les eaux de l'abîme. De l'union des eaux d'en haut et d'en bas dépendait la fertilité de la terre. Les eaux hostiles étaient ainsi domestiquées et Dieu avait placé son arc dans le ciel en signe d'alliance avec tous les hommes81.

La prophétie d'Is 2, 3 affinne que le peuple puisera les eaux avec joie aux sources du salut, à Jérusalem considérée comme centre du monde. Ezéchiel décrit une source miraculeuse qui sonira du Temple à la fin des temps. Cette source grossit au point de devenir semblable à un torrent. Elle assainit le pays. Sur ses rives poussent des arbres dont les feuilles sont des remèdes. Cette source qui sort du sanctuaire est salvifique. Za 13, 1 la présente comme une source qui lave le péché et la souillure82. On se rappelle que la purification était la première étape de l'alliance nouvelle en Ez 36.

La liturgie juive de la fête des Tentes avait associé à cette source du Temple toutes les eaux salvifiques de la Bible: l'eau de la création, le puits du désert et les eaux eschatologiques83. De plus le midrash Gen R 70, 8-9 ajoutait à ce symbolisme un -nouvel élément. Commentant Gen 29, 2 : "Jacob vit qu'il y avait un puits et auprès de lui trois troupeaux", l'auteur s'exprime ainsi: "Le puits symbolise Sion, les trois troupeaux représentent les trois fêtes. Comme du puits on abreuvait les troupeaux, du Temple on s'imprégnait de l'Esprit saint". On sait que Jn 7, 37-39 est inséré dans le cadre de la fête des Tentes. Un des moments principaux de la liturgie du Temple consistait dans la procession quotidienne à Siloé. On descendait à la piscine de Siloé pour puiser l'eau de libation que la tradition assimilait à l'Esprit saint84. Selon le Targum de Gen 35, 13-14 Jacob, lors de son passage à Béthel, y aurait érigé une stèle de pierre et y aurait versé une libation de vin et d'eau, car c'est ainsi que ses fils devaient faire à la fête des Tentes. Davies n'hésite pas à présenter Jésus assis sur la margelle du puits comme le nouveau Temple situé sur les eaux de l'abîme8s. Ainsi le Christ est le nouveau Temple qui fait jaillir l'eau vive de l'Esprit. Nous verrons que le texte de Jn 19, 34­35 relate que du côté de Jésus en croix il sortit du sang et de l'eau. La portée symbolique de ce récit est généralement admise. Si l'auteur ajoute la mention de l'eau à celle du sang, ce doit être pour rappeler le thème évangélique de l'eau, source de vie.

Nous avons rappelé l'exclamation de Jacob en Gen 28, 16 après sa vision de l'échelle: "En vérité Yahve est en ce lieu et je ne le savais pas". Si le lieu de la vision est associé à l'emplacement du Temple, Jésus supplante Jacob ici encore. L'ironie johannique est à son comble. En Jn 4, 22 Jésus affirme: "Vous adorez ce que vous ne connaissez pas, mais nous nous adorons ce que nous connaissons". La supériorité de Jésus par rapport à Jacob ressort immédiatement86. Les Samaritains avaient localisé sur le Garizim de nombreux événements bibliques: le sacrifice d'Abraham et sa rencontre avec Melchisédek. Jacob y avait dressé un autel87. Le Pentateuque samaritain y situe le premier sacrifice des Hébreux en Terre sainte, après le passage du Jourdain. C'était la montagne des bénédictions88. Pour Jean, avec la venue de Jésus une époque s'achève et une autre commence: l'heure vient et pour qui sait discerner dans le prophète la gloire de Dieu habitant en Jésus, elle est là. La déclaration de Jésus sur le culte en Esprit et en vérité achève l'enseignement des scènes précédentes: déjà le vin des noces de Cana préfigurait le vin nouveau, le vin de l'Esprit versé dans les jarres du judaïsme; la purification du Temple annonçait le Temple spirituel, édifié sur les ruines du Temple de pierre. A Nicodème Jésus enseignait la régénération spirituelle requise pour entrer dans le Royaume. A la Samaritaine Jésus révèle ce à quoi préludaient ces scènes: la religion suscitée par Dieu au coeur de ceux qui sont renés de l'eau et de l'Esprit. La Samaritaine reçoit cette révélation: "Je sais que le Messie doit venir ... - Je le suis". L'effusion de l'Esprit était selon les prophètes le grand don messianique; avec elle on attendait le renouveau du culte et situé sur les eaux de l'abîme8s. Ainsi le Christ est le nouveau Temple qui fait jaillir l'eau vive de l'Esprit. Nous verrons que le texte de Jn 19, 34­35 relate que du côté de Jésus en croix il sortit du sang et de l'eau. La portée symbolique de ce récit est généralement admise. Si l'auteur ajoute la mention de l'eau à celle du sang, ce doit être pour rappeler le thème évangélique de l'eau, source de vie.

Nous avons rappelé l'exclamation de Jacob en Gen 28, 16 après sa vision de l'échelle: "En vérité Yahve est en ce lieu et je ne le savais pas". Si le lieu de la vision est associé à l'emplacement du Temple, Jésus supplante Jacob ici encore. L'ironie johannique est à son comble. En Jn 4, 22 Jésus affirme: "Vous adorez ce que vous ne connaissez pas, mais nous nous adorons ce que nous connaissons". La supériorité de Jésus par rapport à Jacob ressort immédiatement86. Les Samaritains avaient localisé sur le Garizim de nombreux événements bibliques: le sacrifice d'Abraham et sa rencontre avec Melchisédek. Jacob y avait dressé un autel87. Le Pentateuque samaritain y situe le premier sacrifice des Hébreux en Terre sainte, après le passage du Jourdain. C'était la montagne des bénédictions88. Pour Jean, avec la venue de Jésus une époque s'achève et une autre commence: l'heure vient et pour qui sait discerner dans le prophète la gloire de Dieu habitant en Jésus, elle est là. La déclaration de Jésus sur le culte en Esprit et en vérité achève l'enseignement des scènes précédentes: déjà le vin des noces de Cana préfigurait le vin nouveau, le vin de l'Esprit versé dans les jarres du judaïsme; la purification du Temple annonçait le Temple spirituel, édifié sur les ruines du Temple de pierre. A Nicodème Jésus enseignait la régénération spirituelle requise pour entrer dans le Royaume. A la Samaritaine Jésus révèle ce à quoi préludaient ces scènes: la religion suscitée par Dieu au coeur de ceux qui sont renés de l'eau et de l'Esprit. La Samaritaine reçoit cette révélation: "Je sais que le Messie doit venir ... - Je le suis". L'effusion de l'Esprit était selon les prophètes le grand don messianique; avec elle on attendait le renouveau du culte et l'offrande du vrai sacrifice89. Jésus qui se révèle à la Samaritaine annonce que les oracles sont accomplis.

Adorer en esprit ne signifie pas seulement adorer de manière spirituelle. L'Esprit ne désigne pas davantage l'esprit de l'homme. Le pneuma dont parle Jésus est l'Esprit de Dieu, celui que Dieu communique à l'homme. Le culte en esprit est suscité dans le coeur des croyants par l'Esprit saint90. Le culte des temps messianiques s'inspire de la révélation du Christ qui est la vérité 91 sous l'action de l'Esprit. Il contie9-t donc une dimension trinitaire, puisqu'il s'adresse au Père 92. Jésus est le nouveau Temple qui remplace le sanctuaire du Garizim et celui de Jérusalem.

Aux deux eaux du dialogue avec la Samaritaine correspondent les deux nourritures en Jn 4, 34. Aux disciples qui le pressent de manger, Jésus répond: "J'ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas"93. Dans la tradition sapientiale le pain est un symbole de la sagesse et de la loi. La Sagesse invite les hommes à son festin:

"Venez, mangez de mon pain"94. On se rappelle que la sagesse n'était pas seulement une doctrine; elle était orientée avant tout vers l'action. On comprend alors que Jésus applique le symbole de la nourriture à l'accomplissement de sa mission. La volonté de Dieu qu'il doit accomplir est le salut de l'humanité, le don de la vie. C'est là l'oeuvre confiée au Fils par le Père9S. Tandis que ses disciples s'occupent du pain matériel, Jésus accomplissait cette oeuvre96. Jésus est descendu du ciel pour faire la volonté de celui qui l'a envoyé. Il cherche cette volonté9'. Derrière cette femme Jésus aperçoit tout le village en route vers lui et plus loin encore la moisson spirituelle déjà mûre, dont les gens de Sycar ne sont que les premiers épis. L'heure de la récolte messianique a sonné. Les semailles sont finies98. Le temps de l'Eglise commence. Jésus a recours à la formule biblique: "Levez les yeux et voyez" qui évoque l'uni­versalité des promesses faites à Abraham 99 et le rassemblement des nations à la fin des tempslOO. Il invite ses disciples au travail dans la conscience de l'unité de l'oeuvre et de la peine prise par les devanciers. C'est donc au monde que Jésus adresse la parole de vie et prêche la religion en esprit que ne mesure pas l'enceinte d'un temple, mais la puissance régénératrice de l'Esprit. Dans la bénédiction de Jacob à Juda, après l'annonce de la venue du Messie, le Patriarche conclut: "Ses collines blanchiront par les récoltes et les parcs de petit bétail"IOI. Cette bénédiction de Jacob est réalisée maintenant. Bref, le discours missionnaire qui conclut le chapitre n'est pas étranger au thème de l'eau vive. Certains Pères de l'Eglise ont vu dans la promesse de l'eau vive un symbole du baptême 102. Paul déjà en 1 Co 12, 13 affirme que les baptisés ont été abreuvés d'un unique Esprit. Enfin il faut souligner que le contexte suggère une interprétation baptismale. Au chapitre précédent, Jésus exerçait une activité de baptiste103, ou plutôt ses

disciples4• Jean-Baptiste lui rend témoignage; il proclame que l'envoyé de Dieu reçoit et donne l'Esprit sans mesure10sJésus se retire en Galilée et en traversant la Samarie, il promet le don de l'eau vi ve. Dans ce contexte la promesse se relie à l'activité baptismale qui précède et traduit en un symbole expressif les déclarations de Jésus sur le don de l'Esprit.

On le voit donc, la scène du puits de Jacob ne peut pas être détachée de son contexte. Elle se rattache à la section inaugurale de l'Evangile, dont elle constitue le sommet. Jésus est d'abord révélé à Jean-Baptiste, puis il manifeste sa gloire à ses disciples (2, 1-11); il apparaît alors dans le Temple et annonce aux Juifs qu'il rebâtira en trois jours un Temple nouveau (2, 18-22). Dans l'entretien avec Nicodème il confie le secret de la nouvelle naissance qui va ouvrir aux hommes le Royaume de Dieu (3, 1-8). Maintenant il enseigne à une femme de Samarie 106 la religion en esprit et en vérité et se fait reconnaître comme le Sauveur du monde. C'est seulement dans cette perspective qu'apparaissent le véritable sens et les vraies dime?sions de la scène.


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